Opinion: Le premier trimestre pourrait être le dernier hourra pour le PIB, mais la Banque du Canada pourrait de toute façon avoir besoin de plus de hausses de taux
L'édifice de la Banque du Canada à Ottawa.CHRIS WATTIE/Reuters
Le rapport sur le produit intérieur brut du premier trimestre de Statistique Canada a été le dernier rappel de la période économique vraiment étrange dans laquelle nous nous trouvons.
L'économie croît plus vite qu'elle n'en a le droit – et c'est une mauvaise nouvelle.
L'inflation étant encore trop élevée pour le confort de la Banque du Canada, le taux de croissance annualisé étonnamment rapide de 3,1 % du trimestre est une trop bonne chose. Cela implique plus de pression inflationniste au cours du trimestre, pas moins. Cela suggère que la bataille de la banque centrale contre l'inflation – menée avec des taux d'intérêt en hausse – n'est pas encore terminée.
Bien que ces chiffres du premier trimestre soient trop bons pour le confort, ils sont aussi trop bons pour durer. Le quart pourrait bien être le dernier hourra. Nous pouvons peut-être éviter la récession que tout le monde craignait il y a quelques mois, mais il y a encore toutes les raisons de penser qu'une économie beaucoup plus froide est en route, si ce n'est déjà fait.
Que la Banque du Canada soit prête à attendre que ce ralentissement se produise est une autre question.
Le plus grand sourcil dans le rapport sur le PIB de mercredi est l'endurance du consommateur canadien, face aux augmentations de taux d'intérêt de l'année dernière. La consommation des ménages a augmenté de près de 6 % en rythme annualisé au cours du trimestre, un fort rebond après avoir affiché une faible croissance au cours des deux trimestres précédents. Les chiffres ont incité certains économistes à suggérer que la Banque du Canada devrait augmenter davantage les taux d'intérêt pour maîtriser la demande des consommateurs qui alimente les pressions inflationnistes.
Mais les données du PIB du premier trimestre sont un regard dans le rétroviseur de l'économie. Même les chiffres de Statscan pour mars, le dernier mois du trimestre, suggèrent une diminution de l'appétit des consommateurs : l'activité dans le commerce de détail, les restaurants et les bars a diminué pour le deuxième mois consécutif. L'estimation préliminaire de Statscan pour avril indiquait un nouveau ralentissement dans le secteur du commerce de détail.
Le nouveau Local Spending Tracker de la Chambre de commerce du Canada, qui enregistre les transactions mensuelles par carte et par paiement électronique, a révélé qu'à l'échelle nationale, les dépenses réelles (c'est-à-dire corrigées de l'inflation) par habitant ont diminué en mars et en avril. Sur la même base, les dépenses ont été négatives dans sept des 10 plus grands centres urbains du pays.
L'investissement des entreprises est en baisse depuis trois trimestres consécutifs et l'humeur ne montre aucun signe d'amélioration. L'indice trimestriel de confiance des entreprises du Conference Board du Canada a affiché sa septième baisse consécutive lors de la dernière enquête, menée fin avril et début mai. La jauge du climat des affaires a chuté à son niveau le plus bas depuis le deuxième trimestre 2020 – les jours les plus sombres de la pandémie de COVID-19. Un nombre croissant d'entreprises ont indiqué qu'elles fonctionnaient en deçà de leur capacité et que leurs attentes en matière d'inflation s'atténuaient.
L'enquête mensuelle sur la confiance des consommateurs du Conference Board a été plus optimiste, mais les propres analystes du groupe de réflexion ne croient pas qu'elle puisse défier la gravité plus longtemps. Dans leur dernier rapport, ils soutiennent que l'endettement élevé des ménages, les taux d'intérêt élevés et la baisse de la valeur des maisons sont destinés à épuiser l'énergie des consommateurs, d'autant plus que de plus en plus de prêts hypothécaires doivent être renouvelés à des taux nettement plus élevés. Les chiffres les plus récents sur la vente au détail et les dépenses peuvent être la preuve que ces fissures attendues sont en train d'émerger.
L'implication est que l'élan que nous avons vu au premier trimestre ne peut pas durer et ne durera pas. Le premier trimestre a peut-être retardé le ralentissement, mais il ne l'a pas évité.
Il est possible que la banque centrale décide que si le rapport sur le PIB a effectivement dépassé l'estimation d'avril de la banque, il était globalement conforme à ce que la banque avait prévu : un premier trimestre solide, mais un ralentissement substantiel à partir du deuxième trimestre, et continue pour le reste de l'année. Les chiffres ne changent pas beaucoup ce récit, voire pas du tout.
La banque a également tenté de maîtriser une variable clé affectant la croissance : la croissance rapide de la population du pays, alimentée par l'immigration. L'afflux de résidents temporaires et permanents – plus d'un million en 2022 – a certainement alimenté à la fois la capacité de travail et la demande des consommateurs. Ces nouveaux venus contribuent non seulement à l'activité économique – c'est-à-dire à la croissance du PIB – mais ils augmentent également le plafond de la croissance que nous pouvons soutenir sans alimenter l'inflation. La banque peut en tenir compte lors de l'examen des implications de la demande de consommation résiliente qui a alimenté le PIB du premier trimestre.
Mais le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, n'a cessé d'avertir qu'avec une inflation toujours bien supérieure à l'objectif de 2 % de la banque, lui et ses collègues sont nécessairement plus gênés par les risques à la hausse que les risques à la baisse. Ce message - qui n'a pas faibli alors même que le taux d'inflation s'est modéré cette année - implique que la banque n'est pas encline à négliger une croissance économique forte et persistante, ni à croire que l'air sortira bientôt des dépenses de consommation ballon.
La question est donc de savoir si les données contenues dans le rapport sur le PIB sont suffisamment en décalage avec les perspectives de la banque pour sonner l'alarme sur l'inflation. Si elle doute que les taux d'intérêt soient suffisamment élevés pour éteindre les incendies des consommateurs, la banque peut décider qu'il est préférable de pousser les taux un peu plus haut et d'éteindre les braises gênantes qui subsistent.
La banque est en mode mieux vaut prévenir que guérir. Ainsi, la question n'est pas de savoir si les chiffres du PIB sont solides. Il s'agit de savoir s'ils sont en sécurité.